L'anorexie touche massivement les adolescentes ainsi que les jeunes femmes, comme autrefois l'hystérie, dont elle serait l'héritière. Aujourd'hui, ce trouble grave des conduites alimentaires reste l'un des plus difficiles à cerner.
Aujourd'hui, "l'anorexie mentale remplit les services de psychiatrie d'enfants ou d'adolescents", explique Thierry Vincent, psychiatre-psychanalyste et auteur de L'anorexie (éd. Odile Jacob). Un "malaise dans la civilisation", aurait dit Freud. Une civilisation touchée par les "psychoses", comme celle de la vache folle, où un geste aussi essentiel et naturel que celui de se nourrir, devient problématique...
Définition
L'anorexie est un trouble de la conduite alimentaire caractérisé par un refus plus ou moins systématique de s'alimenter, en réaction à des conflits psychiques. Cette conduite méthodique survient le plus souvent chez l'adolescente.
Symptômes repérables
Selon le mini DSM-IV, plusieurs symptômes caractérisent l'anorexie :
- refus de maintenir le poids corporel au niveau ou au-dessus d'un poids minimum normal pour l'âge et pour la taille (moins de 85 % du poids minimum attendu).
- peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, alors que le poids est inférieur à la normale.
- altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l'estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle.
- chez les femmes post-pubères, absence d'au moins trois cycles menstruels consécutifs (aménorrhée).
- parfois, le sujet anorexique peut aussi présenter de manière régulière des crises de boulimie, ainsi que des vomissements provoqués et des prises de purgatifs (laxatifs, diurétiques, lavements).
Evolution
L'anorexique ne présente pas de troubles mentaux apparents, ce qui explique les difficultés de certains parents et médecins à reconnaître l'origine psychologique et la gravité des troubles, souvent banalisés. En réalité, c'est justement l'absence d'inquiétude de la malade sur son état de santé qui dévoile l'étendue des dégâts. "Ce symptôme peut avoir des conséquences graves puisque, mal décodé, il peut conduire à la mort du sujet", affirme Jean-Pierre Royol, docteur en psychologie et psychopathologie cliniques. Souvent, des troubles gastriques et des dégâts dentaires graves peuvent se manifester. La mort peut survenir par dénutrition. Le suicide est rare, mais peut se produire après un accès boulimique. Le retour à un état normal du poids ne constitue pas une preuve définitive de guérison, car les rechutes sont fréquentes. Des symptômes psychiatriques peuvent apparaître: phobies, obsessions, troubles compulsifs... pouvant aller jusqu'à la psychose. "L'entourage, au sens large, se trouve couramment désarmé, d'autant plus qu'à ses débuts, ce symptôme est entendu comme un caprice ou un geste volontaire: un refus conscient de manger, alors que la personne en cause est victime de son inconscient. Le plus grave est que cette situation finit souvent par ne s'exprimer que par un rapport de force où l'anorexique ne peut gagner qu'en perdant la vie", explique Jean-Pierre Royol.
Population à risque
"Dans notre culture, les femmes sont plus facilement victimes des phénomènes hystériques comme l'anorexie, car elles sont plus violemment conduites au refoulement de leurs désirs", précise Jean-Pierre Royol. L'âge où la maladie se déclare se situe souvent avant vingt-cinq ans. Elle peut toucher aussi de jeunes enfants et même des nourrissons. L'analyse psychologique fait souvent apparaître un conflit avec l'entourage, et particulièrement avec la mère. Autre cause possible de l'anorexie : l'obsession de minceur de la société. "Beaucoup de jeunes femmes se trouvent en décalage par rapport à l'idéal véhiculé par les mannequins et la mode. Elles ont l'impression d'être anormales ou pas assez belles ou désirables, explique Jacques Fricker, médecin nutritionniste à l'hôpital Bichat . Il y a une pression sur les femmes pour être minces, maigres, trop maigres, et cela
favorise l'émergence de troubles du comportement alimentaire. Cela les conduit à trop se restreindre pendant trop longtemps et de ce fait, après, à manger un peu n'importe quoi, à devenir boulimiques ou à se cantonner à manger de moins en moins, à y trouver goût et à devenir anorexiques."
Solutions thérapeutiques
Chez l'adolescent, l'hospitalisation permet au sujet de se soustraire de l'influence conflictuelle de son entourage et de faire évoluer la relation pathologique qu'il entretient avec lui-même. Cette séparation excède rarement deux mois. Une action auprès des parents est nécessaire. Les thérapies comportementales sont également parfois utilisées pour faire disparaître le symptôme. Mais le travail de fond nécessite une approche globale: "Le fait de s'attaquer au symptôme comme ennemi ou comme élément isolé ne fait que le renforcer, conclue Jean-Pierre Royol. Au bout du compte, il s'agit d'une nouvelle manière de ne pas entendre ce qui cherche à se dire à travers ce comportement. L'évolution n'est favorable qu'à partir du moment où l'on découvre en même temps que la victime la logique inconsciente de ce phénomène psychologique. C'est la seule condition pour que l'anorexique supporte de cesser de limiter son plaisir à ne se satisfaire que de rien".